Il m'aura fallu de longs
mois, dans l'attente de l'orage, le bon, le seul, l'unique, celui qui
accompagné de son encombrante moiteur et chargé de ses si grosses
gouttes, allait réussir à m'emmener jusqu'à San Lorenzo, petite
ville dressée sur pilotis sur les rives portant les paletuviers de
la mangrove équatorienne.
Le petit port de San Lorenzo |
San Lorenzo, un soir
de pluie, comme tant d'autres
Il est encore tôt mais
il fait nuit depuis déjà plus de trois heures, la pluie tombe, de
plus en plus fort, les moustiques rodent. De la salsa romantica
emplit d'émotion les passants, le bingo familial est terminé,
les débits de boisson locaux se remplissent et seul le bruit
incessant des camions et motos vient rompre le charme de cette soirée
tropicale.
Nous arpentons les rues
de la petite ville, nous aventurant dans les rues mal éclairées, à
la recherche d'un repas que nous aurions mieux fait de prendre
avant, car à San Lorenzo, on dîne tôt. Pas de dîner en
perspective, nous dégotons deux énormes maduros* que nous
engloutissons, affamés comme deux voyageurs égarés que nous
sommes. Puis, à défaut de restaurant ou autre gargotte, nous
finissons à l'entrée d'un petit bar vibrant au rythme de bachatas
assourdissantes, assis sur des tabourets de plastiques, une bière à
la main, sans doute une deuxième...
La pluie ne s'est pas
arrêtée, les nids de poule des rues se sont remplis d'eau, c'est
donc les pieds trempés que nous arrivons dans notre chambre, prêts
à bondir sous la toile protectrice tendues au dessus du lit. Quel
délice d'écouter la pluie qui tombe lourdement, bien à l'abri sous
une moustiquaire dans la petite chambre que nous occupons pour ces
quelques nuitées passées ici. Souvenir de pluie, de tiédeur
enveloppante et de salsa pour ces nuits sur pilotis...
Crevettes à foison
Les locaux auraient tort
de se passer de la consommation de ces petites bêtes envahissant
toujours plus, année après année, les morceaux de mer contenus par
les mangroves. Les crevettes grandissent bien et vite en ces eaux
chaudes et nourrissantes, et les industriels, petits et grands, ont
vite intégré le filon que pouvait représenter cette zone côtière,
à la frontière de la Colombie. Malheureusement, ces élevages
contribuent grandement à la perte de la biodiversité locale et
privent les habitants de leurs ressources traditionnelles, notamment
la pêche, contaminée par la polution des élevages.
Si le poisson n'est pas
toujours présent dans les assiettes, la crevette, elle, trône
royalement à toutes les pages des menus. La langoustine n'est pas en
reste et côtoie sa petite soeur, à des prix à peine plus élevés.
Atablés au Ballet
Azul, un petit restaurant aux murs recouverts de carrelage bleu,
à l'angle de la rue principale de San Lorenzo; une fois de plus,
entre el ceviche de langostinos, los langostinos reventados
et el encoca'o de camarones, nous optons pour ce dernier. La
patronne, désormais habituée à nous compter parmi ses clients,
nous offre un sourire. Les deux encoca'o ne tardent pas à
arriver, enrobant la petite salle d'une odeur chaude et sucrée.
Une recette d'encoca'o
de crevettes
Les trois étapes
préalables à la cuisine
Pour faire de ce plat une
réussite, je vous invite comme première étape et premier
ingrédient à penser les tropiques, vos tropiques. Les images qui
sont votres, rappelées à votre mémoire par le souvenir de douceurs
d'un voyage ou simplement imaginés, rêvées.
La deuxième étape vous
fera passer par le poissonnier, c'est là toute la difficulté de la
recette, car les crevettes ne poussent pas dans nos champs et ne
foisonnent pas sur nos rivages. La plupart du temps, elle viennent de
loin et ne coûtent presque rien, au détriment des travailleurs qui
les pêchent et des populations qui vivent à proximité des
gigantesques élevages. Alors comment faire ? Je dois avouer que
je n'ai pas trouvé la solution idéale. La voie que j'ai choisie (et
cela vaut pour les tous les produits de la mer que je consomme,
c'est-à-dire très peu) et celle du plaisir rare. Si nous décidons
de faire un encoca'o, c'est presque un événement en
cuisine ! Je collecte patiemment les différents ingrédients ;
puis, le jour venu, j'attaque le poissonnier de mes interrogations,
et repars malheureusement avec peu de réponses, et éventuellement,
un peu de crevettes, si ses réponses m'ont paru relativement
satisfaisantes et les bêtes appétissantes.
La troisième étape est
le temps d'un dîner la victoire de l'exotisme sur le local, car on
ne cuisine pas une recette tropicale avec du chou rave et du
brocoli ! Ceci dit, il est préférable de cuisiner ce plat en
été, puisqu'il comporte des tomates.
Pour deux personnes, il
vous faudra :
Deux poignées de
crevettes (si vous vivez à proximité de zones de pêche de
langoustines, ne vous privez pas!) ; une boîte de lait de
coco ; deux tomates bien mûres et goûtues, des oignons (sucrés
de préférences) et une botte de coriandre. De l'huile, quelques
« dents » d'ail et un morceau de piment (éventuellement
du poivron si vous préférez un plat plus doux, on trouve du poivron
vert français en ce moment, profitons-en!), un demi citron et du
sel.
En accompagnement :
du riz et du platano pisa'o (la recette!), ou des frites
de manioc (la recette!).
Le plat est simple mais
fameux : faites revenir l'ail et le piment dans l'huile, jetez
les oignons découpés grossièrement, et faites-les revenir jusqu'à
ce qu'ils soient tendres (et digestes). Ajoutez les tomates découpées
en petits morceaux, un peu de jus de citron, faites les cuire un peu
puis versez le lait de coco. Une fois que celui-ci a chauffé, faites
cuire les crevettes dans le lait. Parsemez le tout de coriandre
fraîche.
Puis voyagez par le goût, l'odeur, et le plaisir...
*maduros :
bananes plantain grillées ; en Equateur, elles peuvent se
manger ainsi, bien chaudes et tendres à souhait, ou ouvertes en
deux ; dans ce cas, selon les régions, on y ajoute une lamelle
de fromage frais ou une patte de poulet grillé...
mmmmmm, à la lecture de l'article on se sent enveloppé d'un fumet de bachata aromatisé à la coco!
RépondreSupprimer