mercredi 23 février 2011

Petit déjeuner tropical


Comme tous les matins, la grande maison de bois s'agite dès 5h30. Le soleil dort encore profondément, quand le maître de maison est déjà occupé par mille tâches. La fraîcheur matinale est douce, compatissante avec nos corps à peine éveillés.
Une fièvre du coin m'a clouée au lit hier soir, j'ai ainsi fait une longue nuit, et je me décide plus vite que la veille à soulever un coin de moustiquaire. Aucun moustique ne m'attaquant, je pose mes deux pieds au sol, enfile quelque vêtement, et pousse le volet en bois. Le rio Esmeralda semble plus paisible que de jour, pas encore de pirogue pour perturber son sommeil. L'odeur lourde de la terre témoigne de l'averse nocture, chiens, poules et cochons se sont glissés pendant la nuit entre les pilotis pour se mettre à l'abri du plancher. 

Soudain, un ronflement du grand-père, plus fort que le précédent, réveille un des enfants ; ce dernier saute du lit, ébranle la maisonnée, le gros chien noir soulève l'une de ses oreilles, s'essaye à aboyer, cela réveille le plus gras des cochons, qui en se levant bouscule le dindon, lequel mécontent pince son voisin canin, celui-ci lance un aboiement, et le soleil, dans un gigantesque baîllement, fait enfin son apparition.



J'ai faim.
Et pourtant, ce n'est guère le moment. J'enfile mes chaussures, descends admirer le fleuve s'étirant, et pars aider à l'installation du petit atelier de transformation des fèves de cacao. Ce seront bien deux ou trois bonnes heures de travail avant le petit déjeuner, ces quelques fèves séchées me tiendront compagnie d'ici là.


Vers 8h30, l'appel de la cuisine se fait entendre, les outils sont lâchés, le sourire aux lèvres nous délaissons le travail et montons dans la maison nous atabler en silence.
Ce matin, "guanta"* bouilli, servi en soupe. Chacune hume son grand bol et s'attèle à déguster son morceau de viande, cuit dans un bouillon salé. Au milieu de la table, une grande assiette offre à volonté des bananes plantain bouillies, et le riz déborde d'un saladier. Café au lait ou infusion d'herbe pour tous, nous dépareillons à consommer notre café à l'eau, étranges étrangers que nous sommes.



*Guanta (je ne connais pas la véritable orthographe du mot, la retranscription est phonétique): petit animal hargneux, élevé pour être mangé, met de choix dans le coin. Surtout ne pas passer la main au travers de la grille pour lui chatouiller les moustaches. Se contenter de le regarder et de le manger.

Petits Voyages Gastronomiques fête ce 23 février ses deux ans de périple...L'article le plus lu, la recette apparemment la mieux appréciée? L'empanada d'Argentine!

jeudi 10 février 2011

Le «coup du milieu», plaisir alcoolisé du 19ème siècle


Les bonnes habitudes se perdent, peut-être est-ce préférable, tâchons cependant de ne pas les oublier. 


Qui aujourd'hui pratique encore le trou normand ? Vous savez, ce petit coup de gnôle accompagné de glace, ou dit autrement la coupelle de glace arrosée d'un coup de gnôle; l'alcool variant selon les territoires, le goût souhaité, l'alcool disponible dans le placard, ou encore les parfums de glace restant dans le congélateur l'été fini.

Trou normand: Sorbet au fruits, arrosé d'une eau-de-vie lui convenant (ananas et kirsch, citron et vodka, orange et cognac, poire et eau-de-vie éponyme, etc.), servi au milieu d'un repas copieux, afin d'exercer une action « digestive » et de stimuler l'appétit avant les autres plats. (Dictionnaire de la cuisine d'Eric Glatre)

Je ne sais s'il en est vraiment l'origine, mais le « coup du milieu » tel qu'Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière le définit en 1804 dans l'Almanach des gourmands y fait immanquablement penser.

Le texte qui suit provient donc de cet ouvrage, l'Almanach des gourmands; j'ai moi-même trouvé cette courte mais savoureuse histoire du « coup du milieu » dans l'Ordre des Mets, de Jean-Louis Flandrin, publié en 2002.

« C'est à la ville de Bordeaux, si chère sous tant de rapports aux Gourmands et aux vinographes, que nous devons cette admirable invention, trait de génie qui donne les moyens de faire un second dîner, et qui double en quelque sorte les forces des estomacs les plus débiles.
Entre le rôti et les entremets, c'est-à-dire vers le milieu du dîner, on voit à Bordeaux les portes du lieu du festin s'ouvrir, et apparoître une jeune fille de 18 à 22 ans, grande, blonde, bien faite, et dont tous les traits doivent porter l'empreinte de l'engageance. Elle a ses bras retroussez jusqu'à l'épaule, et tient d'une main un plateau d'acajou, dans lequel sont entaillés autant de verres qu'il se trouve de convives, et de l'autre un flacon de cristal de Montcenis, rempli, soit de rhum de la Jamaïque, soit de vin d'Absinthe, soit de Vermouth (quoique cette dernière liqueur appartienne plus spécialement au coup d'avant qu'à celui du milieu). Ainsi armée, notre Hébé fait le tour de la table, en commençant par le plus Gourmand ou le plus qualifié des convices. Elle verse à chacun un verre du nectar amer qu'elle est chargée de distribuer, et se retire ensuite en silence ; car le Coup du Milieu doit toujours être simple.
L'effet du coup du milieu est presque magique. Nous laissons aux médecins le soin d'en expliquer les causes, et nous bornant à en raconter les effets, nous dirons que chaque Gourmand se sent alors dans les mêmes dispositions qu'en se mettant à table, et qu'il est prêt à faire honneur à un second dîner. Aussi le principal soin de l'Amphitryon doit-il être de ne pas faire arriver le Coup du milieu trop tard, parce qu'alors chacun auroit de l'appétit de reste.
Cet usage a pris depuis quelques années une telle faveur à Paris, qu'il n'est point de table un peu bien servie où il ne soit adopté. Les dames surtout, ici comme à Bordeaux, font un cas particulier du Coup du milieu. »