mercredi 27 juillet 2011

Le budin de pan

Ou de retour au pays de l’empanada et du bife de lomo

Par Jean-Baptiste*


Allergiques du drapeau, n’oubliez pas vos paquets de mouchoirs et vos comprimés d’anti-histaminiques si vos pas vous mènent un jour dans la ville de Rosario en Argentine. Vous irez sans doute jeter un œil à la curiosité locale –l’épouvantable monument au drapeau; alors, abattus par le poids de cette expression très concrète et massive de la lourdeur de l’esprit de clocher peut-être irez vous jusqu’à la rive toute proche pour prendre une grande bouffée d’air et qui sait, si le temps est propice et l’horaire adéquat, une brume providentielle descendra-t-elle le cours du Paraná, chargée de l’humidité parfumée d’agrumes sauvages de la forêt subtropicale et portant les échos du grognement d’un jaguar, du glissement d’un anaconda et du cliquetis de la machine à écrire d’Horacio Quiroga.

Le Parana depuis Rosario

L’esprit à nouveau disposé à vagabonder, vous pourrez pousser la porte d’un des innombrables cafés dont les boiseries diffusent aux angles des carrefours une nostalgie toute ríoplatense**. Derrière la vitrine du présentoir dont les montants dorés prolongent le comptoir de laiton sur lequel se reflètent en silhouettes imprécises les photographies jaunies de migrants en regard sombre qui déambulent dans les rues poussièreuses d'avant le drapeau, attendent les pâtisseries traditionnelles qui pourront accompagner un réconfortant submarino:un part de faln casero***, un budin de pan. 

Le « budín de pan » est la variation ríoplatense du pudding. C’est un plat simple, consistant, résolument anti-gaspillage puisque son ingrédient principal est le pain sec, mais qu’un peu d’imagination peut transformer en un délicieux dessert dont la saveur s’adapte en fonction de votre inspiration. C’est le plat de la grand-mère, du salon de thé, des dimanches après-midi, du goûter en rentrant à la maison.

Recette du budín de pan :
- Pour commencer, conservez votre pain sec jalousement : rien pour les pigeons, rien pour la poubelle, c’est la farine de la mie de pain qui est recyclée  pour faire notre gâteau. Baguette, pain complet, aux céréales, aux noisettes, à la farine de châtaigne, tout est bon, tout se mélange et apportera de la variété chaque fois que vous ferez cette recette. 
- Munissez-vous d’un bon couteau à pain et ôtez la croûte. Ne vous inquiétez pas, vous avez affamé les pigeons mais vous nourrirez les souris : impossible de ne pas faire sauter des miettes de pain sec dans toute la cuisine. Un coup de balai suffira si vraiment vous n’aimez pas les animaux.
- Découpez la mie en petits morceaux, déposez la dans un saladier et recouvrez la de lait. Laissez la mie bien s’imbiber et homogénéisez en malaxant avec une fourchette. Ajoutez un œuf pour un petit saladier, mélangez bien et reversez dans un plat à gâteau.
- Accommodez : sucrez très peu ou ajoutez une grosse cuillérée de confiture (celle que vous avez au frigo fera tout à fait l’affaire, ou celle un peu liquide avec des gros morceaux de fruits que vous avez préparée l’année dernière) et mélangez grossièrement.
- Préparez la croûte : saupoudrez du sucre sur la préparation –de préférence un sucre parfumé comme du sucre de canne complet ou de la panela– mais sans mélanger : en cuisant la couche de sucre se transformera en une délicieuse croûte qui ne rend pas nécessaire de sucrer la préparation.
- Enfournez dans le four préchauffé à 180°C jusqu’à ce que la surface prenne une belle coloration mordorée (entre 20 minutes et 1h30 selon la quantité de lait que vous avez mise et la densité que vous souhaitez obtenir).
- Laissez reposer au froid pour que le budín se tasse bien.

Budin de pan





 * Ses autres articles sur ce blog: 
Sur la viande argentine et la provoleta: Bienvenus au royaume de la viande et des empanadas!

**Le Río de la Plata est le fleuve séparant l'Argentine de l'Uruguay, entre autres choses. Le Río de la Plata est aussi une véritable région culturelle.

***La recette du flan casero sur ce lien.


vendredi 8 juillet 2011

Un encoca'o à San Lorenzo


Il m'aura fallu de longs mois, dans l'attente de l'orage, le bon, le seul, l'unique, celui qui accompagné de son encombrante moiteur et chargé de ses si grosses gouttes, allait réussir à m'emmener jusqu'à San Lorenzo, petite ville dressée sur pilotis sur les rives portant les paletuviers de la mangrove équatorienne. 

Le petit port de San Lorenzo

San Lorenzo, un soir de pluie, comme tant d'autres

Il est encore tôt mais il fait nuit depuis déjà plus de trois heures, la pluie tombe, de plus en plus fort, les moustiques rodent. De la salsa romantica emplit d'émotion les passants, le bingo familial est terminé, les débits de boisson locaux se remplissent et seul le bruit incessant des camions et motos vient rompre le charme de cette soirée tropicale.

Nous arpentons les rues de la petite ville, nous aventurant dans les rues mal éclairées, à la recherche d'un repas que nous aurions mieux fait de prendre avant, car à San Lorenzo, on dîne tôt. Pas de dîner en perspective, nous dégotons deux énormes maduros* que nous engloutissons, affamés comme deux voyageurs égarés que nous sommes. Puis, à défaut de restaurant ou autre gargotte, nous finissons à l'entrée d'un petit bar vibrant au rythme de bachatas assourdissantes, assis sur des tabourets de plastiques, une bière à la main, sans doute une deuxième...
La pluie ne s'est pas arrêtée, les nids de poule des rues se sont remplis d'eau, c'est donc les pieds trempés que nous arrivons dans notre chambre, prêts à bondir sous la toile protectrice tendues au dessus du lit. Quel délice d'écouter la pluie qui tombe lourdement, bien à l'abri sous une moustiquaire dans la petite chambre que nous occupons pour ces quelques nuitées passées ici. Souvenir de pluie, de tiédeur enveloppante et de salsa pour ces nuits sur pilotis...

Crevettes à foison
Les locaux auraient tort de se passer de la consommation de ces petites bêtes envahissant toujours plus, année après année, les morceaux de mer contenus par les mangroves. Les crevettes grandissent bien et vite en ces eaux chaudes et nourrissantes, et les industriels, petits et grands, ont vite intégré le filon que pouvait représenter cette zone côtière, à la frontière de la Colombie. Malheureusement, ces élevages contribuent grandement à la perte de la biodiversité locale et privent les habitants de leurs ressources traditionnelles, notamment la pêche, contaminée par la polution des élevages.
Si le poisson n'est pas toujours présent dans les assiettes, la crevette, elle, trône royalement à toutes les pages des menus. La langoustine n'est pas en reste et côtoie sa petite soeur, à des prix à peine plus élevés.

Atablés au Ballet Azul, un petit restaurant aux murs recouverts de carrelage bleu, à l'angle de la rue principale de San Lorenzo; une fois de plus, entre el ceviche de langostinos, los langostinos reventados et el encoca'o de camarones, nous optons pour ce dernier. La patronne, désormais habituée à nous compter parmi ses clients, nous offre un sourire. Les deux encoca'o ne tardent pas à arriver, enrobant la petite salle d'une odeur chaude et sucrée. 


Une recette d'encoca'o de crevettes

Les trois étapes préalables à la cuisine

Pour faire de ce plat une réussite, je vous invite comme première étape et premier ingrédient à penser les tropiques, vos tropiques. Les images qui sont votres, rappelées à votre mémoire par le souvenir de douceurs d'un voyage ou simplement imaginés, rêvées.

La deuxième étape vous fera passer par le poissonnier, c'est là toute la difficulté de la recette, car les crevettes ne poussent pas dans nos champs et ne foisonnent pas sur nos rivages. La plupart du temps, elle viennent de loin et ne coûtent presque rien, au détriment des travailleurs qui les pêchent et des populations qui vivent à proximité des gigantesques élevages. Alors comment faire ? Je dois avouer que je n'ai pas trouvé la solution idéale. La voie que j'ai choisie (et cela vaut pour les tous les produits de la mer que je consomme, c'est-à-dire très peu) et celle du plaisir rare. Si nous décidons de faire un encoca'o, c'est presque un événement en cuisine ! Je collecte patiemment les différents ingrédients ; puis, le jour venu, j'attaque le poissonnier de mes interrogations, et repars malheureusement avec peu de réponses, et éventuellement, un peu de crevettes, si ses réponses m'ont paru relativement satisfaisantes et les bêtes appétissantes.

La troisième étape est le temps d'un dîner la victoire de l'exotisme sur le local, car on ne cuisine pas une recette tropicale avec du chou rave et du brocoli ! Ceci dit, il est préférable de cuisiner ce plat en été, puisqu'il comporte des tomates.

Pour deux personnes, il vous faudra :



Deux poignées de crevettes (si vous vivez à proximité de zones de pêche de langoustines, ne vous privez pas!) ; une boîte de lait de coco ; deux tomates bien mûres et goûtues, des oignons (sucrés de préférences) et une botte de coriandre. De l'huile, quelques « dents » d'ail et un morceau de piment (éventuellement du poivron si vous préférez un plat plus doux, on trouve du poivron vert français en ce moment, profitons-en!), un demi citron et du sel.

En accompagnement : du riz et du platano pisa'o (la recette!), ou des frites de manioc (la recette!).

Le plat est simple mais fameux : faites revenir l'ail et le piment dans l'huile, jetez les oignons découpés grossièrement, et faites-les revenir jusqu'à ce qu'ils soient tendres (et digestes). Ajoutez les tomates découpées en petits morceaux, un peu de jus de citron, faites les cuire un peu puis versez le lait de coco. Une fois que celui-ci a chauffé, faites cuire les crevettes dans le lait. Parsemez le tout de coriandre fraîche. 

Puis voyagez par le goût, l'odeur, et le plaisir...




*maduros : bananes plantain grillées ; en Equateur, elles peuvent se manger ainsi, bien chaudes et tendres à souhait, ou ouvertes en deux ; dans ce cas, selon les régions, on y ajoute une lamelle de fromage frais ou une patte de poulet grillé...