jeudi 10 février 2011

Le «coup du milieu», plaisir alcoolisé du 19ème siècle


Les bonnes habitudes se perdent, peut-être est-ce préférable, tâchons cependant de ne pas les oublier. 


Qui aujourd'hui pratique encore le trou normand ? Vous savez, ce petit coup de gnôle accompagné de glace, ou dit autrement la coupelle de glace arrosée d'un coup de gnôle; l'alcool variant selon les territoires, le goût souhaité, l'alcool disponible dans le placard, ou encore les parfums de glace restant dans le congélateur l'été fini.

Trou normand: Sorbet au fruits, arrosé d'une eau-de-vie lui convenant (ananas et kirsch, citron et vodka, orange et cognac, poire et eau-de-vie éponyme, etc.), servi au milieu d'un repas copieux, afin d'exercer une action « digestive » et de stimuler l'appétit avant les autres plats. (Dictionnaire de la cuisine d'Eric Glatre)

Je ne sais s'il en est vraiment l'origine, mais le « coup du milieu » tel qu'Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière le définit en 1804 dans l'Almanach des gourmands y fait immanquablement penser.

Le texte qui suit provient donc de cet ouvrage, l'Almanach des gourmands; j'ai moi-même trouvé cette courte mais savoureuse histoire du « coup du milieu » dans l'Ordre des Mets, de Jean-Louis Flandrin, publié en 2002.

« C'est à la ville de Bordeaux, si chère sous tant de rapports aux Gourmands et aux vinographes, que nous devons cette admirable invention, trait de génie qui donne les moyens de faire un second dîner, et qui double en quelque sorte les forces des estomacs les plus débiles.
Entre le rôti et les entremets, c'est-à-dire vers le milieu du dîner, on voit à Bordeaux les portes du lieu du festin s'ouvrir, et apparoître une jeune fille de 18 à 22 ans, grande, blonde, bien faite, et dont tous les traits doivent porter l'empreinte de l'engageance. Elle a ses bras retroussez jusqu'à l'épaule, et tient d'une main un plateau d'acajou, dans lequel sont entaillés autant de verres qu'il se trouve de convives, et de l'autre un flacon de cristal de Montcenis, rempli, soit de rhum de la Jamaïque, soit de vin d'Absinthe, soit de Vermouth (quoique cette dernière liqueur appartienne plus spécialement au coup d'avant qu'à celui du milieu). Ainsi armée, notre Hébé fait le tour de la table, en commençant par le plus Gourmand ou le plus qualifié des convices. Elle verse à chacun un verre du nectar amer qu'elle est chargée de distribuer, et se retire ensuite en silence ; car le Coup du Milieu doit toujours être simple.
L'effet du coup du milieu est presque magique. Nous laissons aux médecins le soin d'en expliquer les causes, et nous bornant à en raconter les effets, nous dirons que chaque Gourmand se sent alors dans les mêmes dispositions qu'en se mettant à table, et qu'il est prêt à faire honneur à un second dîner. Aussi le principal soin de l'Amphitryon doit-il être de ne pas faire arriver le Coup du milieu trop tard, parce qu'alors chacun auroit de l'appétit de reste.
Cet usage a pris depuis quelques années une telle faveur à Paris, qu'il n'est point de table un peu bien servie où il ne soit adopté. Les dames surtout, ici comme à Bordeaux, font un cas particulier du Coup du milieu. »


1 commentaire:

  1. Très intéressante trouvaille et très jolie photo (quoi qu'on n'imagine pas un normand ou un bordelais mettre du paprika dans son verre...)

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