Pourtant le maté se consomme dans de nombreux pays d’Amérique Latine – Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Chili, j’en oublie sûrement - et même si les méthodes de consommation et les noms varient, la plante et le principe restent les mêmes : une herbe concassée versée dans un récipient (calebasse, tasse en métal, verre, sabot de vache, etc.) sur laquelle on verse de l’eau, froide ou chaude, le mélange obtenu se buvant à l’aide d’une bombilla, pipette, paille en métal, etc.
Machine servant à la récolte du maté, Posadas, Argentine, juillet 2007
De la littérature pour éclairer sur la consommation du maté, avec ce texte de Tristes tropiques, Claude Lévi Strauss :
« Mais deux fois par jour – à 11h30 le matin, et à 7 heures le soir – tout le monde se réunissait sous la pergola qui entourait les pièces d’habitation pour le rite biquotidien du chimarrão, autrement dit le maté bu au chalumeau. On sait que le maté est un arbuste de la même famille que notre yeuse, dont les rameaux, légèrement torréfiés à la fumée d’un foyer souterrain, sont moulus en une poudre grossière, couleur réséda, qui se conserve longtemps en barils. J’entends le vrai maté, car le produit vendu en Europe sous cette étiquette généralement subi de si maléfiques transformations qu’il a perdu toute ressemblance avec l’original.
Il y a plusieurs façons de boire le maté. En expédition, lorsque, épuisés, nous étions trop impatients du réconfort instantané qu’il apporte, nous nous contentions d’en jeter une grosse poignée dans l’eau froide vite portée à ébullition, mais retirée du feu – cela est capital- au premier bouillon, sinon le maté perd toute sa valeur. On l’appelle alors cha de maté, infusion à l’envers, vert sombre et presque huileuse comme une tasse de café fort. Quand le temps manque, on se contente du téréré qui consiste à aspirer avec une pipette l’eau froide dont on arrose une poignée de poudre. On peut aussi, si l’on redoute l’amertume, préférer le maté doce, à la façon des belles Paraguayennes ; il faut alors faire caraméliser la poudre mêlée de sucre sur le feu vif, noyer cette mixture d’eau bouillante et tamiser. Mais je ne connais pas d’amateur de maté qui ne place plus haut que toutes ces recettes le chimarrão, qui est à la fois un rite social et un vice privé, ainsi qu’il se pratiquait à la fazenda.
On s’assied en cercle autour d’une petite fille, la china, porteuse d’une bouilloire, d’un réchaud et de la cuia, tantôt calebasse à l’orifice cerclé d’argent, tantôt – comme à Guaycurus – corne de zébu sculptée par un péon. Le réceptacle est aux deux tiers empli de poudre que la fillette imbibe progressivement d’eau bouillante ; dès que le mélange forme pâte, elle creuse, avec le tube d’argent terminé à sa partie inférieure en bulbe percé de trous, un vide soigneusement profilé pour que la pipette repose au plus profond, dans une menue grotte où s’accumulera le liquide, tandis que le tube doit conserver juste assez de jeu pour ne pas compromettre l’équilibre de la masse pâteuse, mais pas trop, sinon l’eau ne se mélangera pas. Le chimarrão ainsi disposé, il n’y a plus qu’à le saturer de liquide avant de l’offrir au maître de maison ; après qu’il a aspiré deux ou trois fois et retourné le vase, la même opération a lieu pour tous les participants, hommes d’abord, femmes ensuite s’il y a lieu. Les tours de répètent, jusqu’à épuisement de la bouilloire. Les premières aspirations procurent une sensation délicieuse – au moins à l’habitué, car le naïf se brûle – faite de contact un peu gras de l’argent de ébouillanté, de l’eau effervescente, riche d’une mousse substantielle : amère et odorante à la fois, comme une forêt entière en quelques gouttes concentrée. Le maté contient un alcaloïde analogue à ceux du café, du thé et du chocolat, mais dont le dosage (et la demi-verdeur du véhicule) explique peut-être la vertu apaisante en même temps que revigorante. Après quelques tournées, le maté s’affadit, mais de prudentes explorations permettent d’atteindre avec la pipette des anfractuosités encore vierges, et qui prolongent le plaisir par autant de petites explosions d’amertume. »
Texte tiré de Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss, cinquième partie. – Caduveo, XVIII. – Pantanal
Ce texte évoque la consommation du maté dans le sud du brésil, dans les années 30. L’argentin consomme aujourd’hui le maté différemment, mais les similarités sont tout de même frappantes.
A suivre en deux parties cette semaine:
Qu'est-ce que le maté? Puis les argentins et le maté, ou comment se consomme le maté en Argentine?
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