mardi 19 octobre 2010

Leçon de cuisine shuar : les frites de manioc

Macas, bourgade équatorienne, capitale de la province de Morona Santiago, aux portes de la forêt amazonienne.

















Le soleil cogne fort malgré l'épaisse couche nuageuse, j'attends stoïquement que la température baisse, suant à grosses gouttes sans bouger, assise sur un vieux canapé en velours. Je prends quelques notes dans mon carnet noir, assise dans ce salon que je ne connais presque pas. Nous sommes en cette chaude journée les invités d'Eleonor, femme Shuar vivant à Macas depuis déjà quelques années. Avant, c'était la vie en forêt, et un autre prénom sûrement.

Eleonor vit en ville, mais a conservé un mode de vie shuar, le petit jardin entourant sa maison en est le témoignage le plus frappant. Nous y déambulons un certain temps, en écoutant avec attention Eleonor nous conter les vertus de telle plante, les pouvoirs de celle-ci, la forte saveur de celle-là. Pas de plante ornementale dans le jardin, uniquement de l'utile : plantes médicinales, aromatiques, contraceptives, pour infusions ou décoctions, tout est là, survie garantie, phytothérapie shuar oblige !

Un paquet d'imposants tubercules bruns dans les mains, Eleonor m'annonce le menu du goûter : frites de manioc et wayusa* à volonté.
Un doux souvenir de dégustation de frites de manioc sur une plage lointaine me revient, je lance timidement : « peut-être puis-je participer à la préparation des frites? » Eleonor, ravie, m'invite dans sa cuisine, et c'est ainsi que je découvre avec joie quelques uns des secrets de la préparation du manioc.

La première chose lorsque l'on habite loin de toute contrée tropicale est de se procurer du manioc. Toute épicerie « exotique » se respectant en propose en quantité, le manioc constituant l'aliment de base pour nombre de peuples. Evidement, le tubercule vient de loin, le bilan carbone de la recette n'est sûrement pas excellent. Mais l'aventure culinaire appelle souvent le produit lointain. Aussi pour éviter toute culpabilité si la recette vous tente, remplacer votre prochain achat de café et de chocolat par un tubercule de manioc. 


1- Saisissez le manioc avec votre main la moins habile, et avec l'autre, à l'aide d'un grand couteau, cassez l'épaisse écorce marron du tubercule en tapant dessus dans le sens de la longueur avec le côté tranchant du couteau, lame légèrement inclinée, en prenant bien garde de pas vous couper !
Cela paraît assez rudimentaire, mais la technique est efficace.

Brisez cette écorce jusqu'à ce vous puissiez retirer toute entière l'écorce blanche (et rose) apparaissant sous l'écorce marron. 


2- Lavez soigneusement le manioc une fois débarassé de ses couches d'écorce, puis découpez-le en deux morceaux plus ou moins identiques. Coupez à nouveau les deux morceaux, mais dans le sens de la longueur cette fois, afin de laisser apparaître le coeur du manioc. 

 

 3- Ôtez le coeur fibreux en tapant dessus avec la lame inclinée d'un grand couteau, en évitant soigneusement de vous blesser.




4- Coupez chacune des quatre parties en morceaux plus petits, afin que la cuisson se fasse plus facilement, puis mettez à cuire à la vapeur, avec l'instrument de votre choix, pendant 30 minutes. 







5- Les trente minutes passées, récupérez votre manioc, débitez-le en petits tronçons et faites-les frire, ou revenir dans un peu d'huile. Je ne suis pas une grande adepte de la friture, j'ai donc préféré faire revenir mes frites dans un fond d'huile, qui doit cependant être suffisant pour faire griller tous les côtés de la frite ! 


6- Retirez les frites, déposez-les sur un papier absorbant, salez modérément, et mangez ! En accompagnement d'un plat de viande ou de poisson, parfaites dans une assiette végétarienne, peut-être encore meilleures en apéro avec une bonne bière, je vous laisse chercher l'inspiration ! 




*wayusa: herbe servant à la préparation d'infusions. Elle est notamment consommée par les shuars et les achuars. 

vendredi 8 octobre 2010

La chicha au manioc, boisson des Jivaros


La chicha est une boisson connue, renommée et bue dans de multiples contrées latino-américaines. Abordons la avec les considérations dues.

Ici, en France, point de chicha. Point de Jivaros non plus, et tant mieux pour eux.

Je ne peux le retenir plus longtemps, je lache le morceau : la chicha est une boisson fermentée au manioc.
Dit comme cela, la description paraît presque anodine.
N'importe quel novice de la boisson fermentée au manioc se dit : le manioc est une plante de là-bas, inconnue ici par les mangeurs de saucisson. Pourquoi n'en feraient-ils pas une boisson ? Nous, nous fabriquons bien de l'alcool à base d'orge et certains avec de la pomme de terre. 

Rapide leçon agronomique & géoculturelle avant d'en savoir plus sur la chicha :
-Le manioc est un arbrisseau des régions tropicales de la famille des euphorbiacées. C'est la racine qui se consomme, travaillé en fécule, farine, ou en tant que racine.
-Pas de robinet d'eau potable chez les jivaros, pas de robinet tout court, à peine quelques puits, vides pour la plupart en août, saison sèche. La seule eau permettant de préparer plats et boissons vient souvent de rivières troubles.
-L'eau ne se consomme pas en tant que tel, ou très peu.
-La seule boisson consommée par les jivaros dans la zone que j'ai visitée (Amazonie Equatorienne) est la chicha.

Je reviens à ma chicha.

En langue achuar (c'est dans une communauté Achuar que j'ai passé un peu de temps, les Achuars appartiennent au groupe de Jivaros. Mais cela, Philippe Descola le dit bien mieux que moi dans son ouvrage Les Lances du Crépuscule.), chicha se dit Nijiamanch.

Elle est préparée par la femme, et surtout consommée par l'homme, qui en boit régulièrement d'abondantes quantités dans un récipient en terre cuite nommée en langue Achuar pininkia
La chicha est préparée à base de manioc cuit et écrasé, d'eau non purifiée, et … de salive. Evidemment, la présentation de la recette est assez abrupte, c'est pourtant la réalité. Mais quoi de mieux que la salive pour purifier l'eau ainsi bue et acceptée par tous ?
La femme, assise devant un grand chaudron, mastique inlassablement de gros morceaux de manioc cuit, puis recrache le tout à grands jets dans le grand chaudron. Avec un long morceau de bois servant de spatule, elle mélange, elle mélange, jusqu'à ce que la chicha prenne une texture homogène et bien liquide.

Vous ne me croirez peut-être pas, mais c'est plutôt bon. Notez aussi que la qualité de la chicha varie fortement en fonction de la femme qui l'a préparée.
Evidemment, passé le litre, nos estomacs peu accoutumés à ce genre de breuvage accusent un peu le coup.

La recette est imprécise, mais je pense qu'aucun lecteur ne m'en tiendra rigueur...

Surtout un grand merci à la femme de Wajari qui m'a permis de la regarder préparer la chicha et qui a su épargner mon estomac en ne m'en offrant pas systématiquement.